Mary Ellen Mark fait partie de ces photojournalistes portraitistes reconnus, qui mettent en lumière la vie des laissés-pour-compte, de ceux que l’on ne préfère pas voir.

Mary Ellen Mark a acquis une visibilité mondiale grâce à ses travaux photographiques  sur les bordels de Bombay, les enfants fugueurs de Seattle (devenus la base du film STREETWISE), les familles du Ku Klux Klan,  grâce à son implication au sein de l’Agence Magnum (1977-1982), aux publications, expositions, travaux pour des magazines comme LIFE, New York Times Magazine, The New Yorker, Rolling Stone et Vanity Fair.

Cette photographe américaine célèbre pour ces portraits noir et blanc, ses reportages sur la marginalité, a parcouru les Etats-Unis mais également l’Inde, ou encore le Zimbabwe pour exposer avec beaucoup de justesse,  d’humanité et de pudeur, des images fortes retraçant la vie d’hommes, de femmes et de familles mis à la marge de la société.

Mary Ellen Mark reste l’une des photographes les plus respectées et les plus influentes de la photographie documentaire.

Retour sur la vie de Mary Ellen Mark , cette grande journaliste engagée, proche de ses sujets.

Mary Ellen Mark 4

Mary Ellen Mark, ses premières années

Née le 20 mars 1940 à Elkins Park, Philadelphie, Etat de Pennsylvanie, Etats-Unis, Mary Ellen Mark  commence la photographie dès l’âge de 9 ans, avec un « Brownie » (un petit appareil photo Kodak).

Par la suite, Mary Ellen Mark se tourne vers d’autres arts graphiques comme le dessin et la peinture notamment à la Cheltenham High School.

Mary Ellen Mark poursuit ses études supérieures d’art et de photographie à l’Université de Pennsylvanie, où elle obtient une licence de peinture et d’histoire de l’art en 1962 puis en 1964, une maîtrise de photojournalisme à l’Annenberg School for Communication.

Mary Ellen Mark se lance en « freelance » comme photographe et obtient une bourse qui lui permet de parcourir le monde (Turquie, Europe) avant se s’installer à New-York.

Toute sa vie, Mary Ellen Mark  aura comme but de photographier des sujets complexes qui nécessiteront une forte implication humaine de sa part.

 

Mary Ellen Mark, photojournaliste

En tant que photographe indépendante, Mary Ellen Mark  publie en 1974 son premier ouvrage Passport, qui est une sélection de photographies prises entre 1963 et 1973.

1er ouvrage de ME Mark

Puis, en 1976, Mary Ellen Mark  réalise l’un de ces premiers reportages sur les patientes d’un quartier sécurisé d’un hôpital psychiatrique, l’Oregon State Mental Institution, de Salem.

Pendant deux mois, Mary Ellen Mark vit dans l’établissement psychiatrique, s’immerge dans le quotidien de ces femmes recluses, fixe et capture leurs expressions, leur angoisse.

Mary Ellen Mark 1

Son travail sur la marginalité et la condition humaine est très vite remarqué puisque ses  images en noir et blanc sont publiées dans le livre Ward 81 «  Quartier numéro 81 » en 1979.

Mary Ellen Mark  intègre l’agence Magnum entre 1977 et 1982  puis travaille à nouveau comme indépendante.

Entre 1968 et 1981,  Mary Ellen Mark  effectue plusieurs voyages en Inde, où elle photographie les prostituées de Bombay.

Mary Ellen Mark partage leur quotidien terriblement difficile, dans le quartier de Falkland Road où se trouvent les pires maisons de passe de Mumbai, allant jusqu’à les immortaliser en plein coït.

Mary Ellen Mark réussira par sa ténacité et son intelligence, et malgré l’hostilité et la violence exprimées à son égard, à créer des amitiés dans ce monde très fermé.

Dans le même temps, elle photographie le travail de mère Teresa et de ses auxiliaires.

De cette aventure particulièrement éprouvante, naîtront deux livres d’une immense humanité et d’une sincérité absolue,  Falkland Road : Prostitutes of Bombay (1981) et Photographs of Mother Teresa’s Missions of Charity in Calcutta, India (1985).

Les travailleuses du sexe de Bombay

Ces images mettent en exergue la pauvreté, l’horreur de la prostitution, mais également sa banalité.

Mary Ellen Mark , qui a réussi à se faire accepter par les sujets qu’elle a photographiés  dans leur intimité, cherchera à garder des liens avec cette communauté mais la distance et les ravages du SIDA sur cette population ne le permettront pas.

Falkland Road 1981

En 1982, à l’heure où la presse est encore un média omniprésent,  Mary Ellen Mark  réalise un reportage pour Life Magazine, sur la vie des enfants fugueurs dans les rues de Seattle, aux États-Unis.

Mary Ellen Mark  remportera un prix.

En 1984, elle réalise un documentaire social sur les enfants des rues, Streetwise (1984) porté par son époux Martin Bell, réalisateur américain, qui sera, pour ce film, nominé aux Oscars.

“J’étais moi-même une sorte d’enfant à problèmes, j’étais émotive, sauvage, rebelle à l’école.

Je suis très touchée par les enfants qui ne disposent pas d’avantages, ils sont beaucoup plus intéressants que les enfants qui ont tout. Ils ont beaucoup plus de passion et d’émotion, et une très forte volonté.” (Vogue, en 1993)

Les gosses et le pistolet

C’est dans le cadre de ce projet ; lors d’une mission pour Life Magazine ; que, en 1983, elle fait la connaissance d’Erin Blackwell, jeune fille de 13 ans qui se prostitue. Elle la surnomme  « Tiny ».

« On approche les gens en étant honnête à propos de ce que l’on fait. Alors, ils décident, si oui ou non, ils vous laissent les prendre en photo. Ces gamins étaient là. Ils faisaient partie du décor là-bas. D’un coup, ils apparaissent devant vous et c’est pour cette raison que vous les choisissez. »

La photojournaliste suivra la vie de cette adolescente, devenue jeune maman puis adulte. Elle noue un lien de confiance et d’amitié avec elle, pendant plus de 30 ans. Mary Ellen Mark lui dédiera un livre Tiny, Streetwise Revisited sorti en 2015, l’année de sa mort à l’âge de 75 ans. Dans cet ouvrage, Mary Ellen Mark raconte en images la vie de Tiny.

Tiny enceinte

Tiny mère adolescente

« Je n’aime pas photographier les enfants en tant qu’enfants. J’aime les voir comme des adultes, comme la personne qu’ils sont vraiment. Je suis toujours à la recherche de qui ils pourraient devenir. »

Tiny adulte

Mary Ellen Mark achèvera  ce travail sur les sans-abris en 1996, par un ouvrage A Cry for Help : Stories of Homelessness and Hope, où elle présente des portraits de sans-abri survivant dans les rues de New York.

Ces photographies sont alors publiées dans des magazines tels que TimeMs.Paris-Match et Der Stern.

Enfin, entre 2006 et 2009, Mary Ellen Mark réalise des portraits en noir et blanc de jeunes Américains, toutes catégories sociales et communautés confondues,  le jour du « bal de promo » (Prom, 2012), considéré comme un véritable rituel de passage, tradition américaine aux Etats-Unis.

Prom 2012

Will Mattimoe et Jane Mattimoe Charlottesville High School Prom, Charlottesville, Virginia, USA 2008

Pour ce projet, toujours mené en collaboration avec Martin Bell qui accompagnera l’ouvrage d’un film, Mary Ellen Mark  sillonne les Etats-Unis, de New York, à la côte Ouest en passant par les Etats du Sud.

L’organisation a été complexe, nécessitant l’obtention de beaucoup d’autorisations. Elle utilise une chambre polaroid de 20×24, extrêmement lourde, dont les images sont coûteuses à produire.

prom 2012

Mary Ellen Mark « J’ai toujours été intéressée par la photographie des traditions et des coutumes, en particulier en Amérique. Le bal est une tradition américaine, un rite de passage qui a toujours été l’un des rituels les plus importants de la jeunesse américaine. C’est un jour dans nos vies que nous n’oublions jamais – un jour plein d’espoirs et de rêves pour notre avenir. »

Mariée à Martin Bell, réalisateur américain de Streetwise (1984) et American Heart (1992)., Mary Ellen Mark  décède le  25 mai 2015, à Manhattan, New York, État de New York, États-Unis à l’âge de 75 ans.

Mary Ellen Mark, une photographe engagée

Mary Ellen Mark  aime le l’argentique, le noir et blanc, le grand angle pour placer son sujet dans son contexte, et ainsi, raconter une histoire, comme un film de cinéma.

Pourtant, Mary Ellen Mark  s’en défend « je ne veux pas être qu’une photo-essayiste, je suis plus intéressée par une image isolée… une que je juge suffisamment bonne pour être présentée seule. »

Mary Ellen Mark  est également soucieuse de la qualité technique de ses photographies   « Un bon tirage est essentiel. Je veux prendre des images documentaires fortes qui soient techniquement aussi bonnes que n’importe lequel des meilleurs tirages techniques, et aussi créatives que les meilleures photographies artistiques. »

Mary Ellen Mark  est souvent comparée à Dorothea Lange, photojournaliste américaine de guerre, par son engagement politique et son attachement professionnel à documenter une réalité sombre et violente.

« Je veux que mes photographies parlent des émotions et sentiments basiques que nous expérimentons tous. »

Dans ses reportages sur le long terme, Mary Ellen Mark suit ses sujets, tisse des liens avec eux,  s’imprègne, partage avec eux des moments de vie. Ses liens forts ainsi créés sont visibles dans ses photos, puisque cette proximité lui permet de photographier des moments intimes, sans voyeurisme, abolissant ainsi la distance photographe/sujet et donnant à l’image une force graphique incroyable.

Mary Ellen Mark et le cinéma

Passionnée de cinéma, Mary Ellen Mark aime se glisser sur les lieux de tournage,  rencontrer les acteurs, réalisateurs, suivre leur travail, les photographier. Mary Ellen Mark  signe notamment un portrait de Marlon Brando, colonel sanguinaire Walter E.Kurtz, sur le tournage d’Apocalypse Now en 1979.

bRANDO

« Avant Apocalypse Now, j’avais travaillé sur Missouri Breaks avec Brando. Il était compliqué, Brando. Vraiment, il n’était pas facile. Il fallait demander sa permission à chaque fois que vous vouliez le prendre en photo et donc, c’était impossible d’avoir une pose prise sur le vif.  

Résultat, j’étais sur le point de partir sans photo et je lui ai dit : “Je n’ai aucune photo de toi, mais tant pis, je me barre, salut.” Et il m’a répondu :  “Aujourd’hui, c’est bon, tu peux prendre toutes les photos que tu veux sans demander.” C’était le dernier jour où j’étais sur ce tournage, j’ai fait plein de clichés de lui et il les a aimés. C’est lui, derrière, qui m’a demandé de venir sur le tournage d’Apocalypse Now. »

Cette photographie est faite sans montage, sans préparation.

« Il a juste attrapé la libellule. Il aimait les insectes. Il était fasciné par les insectes. Il y a aussi celle avec le scarabée sur son front. Si je lui avais demandé de le faire, il ne l’aurait jamais fait. Je n’utilise jamais les acteurs pour faire des choses. 

Je déteste ces photographies trop mises en scène où les acteurs font des choses stupides. Je ne suis vraiment pas fan de ça. Je déteste aussi quand les gens les habillent avec des fringues ridicules. C’est un truc débile. Il a simplement tout fait lui-même. »

Mary Ellen Mark 3

Federico Fellini on the Set of « Fellini Satyricon », Rome, Italy, 1969 Mary Ellen Mark 

Mary Ellen Mark, ses récompenses

Durant toute sa carrière, Mary Ellen Mark reçoit de nombreux prix, récompensant son travail.

  • 1994: Prix Erich-Salomon
  • 1997: Infinity Award du photojournalisme
  • 2003: Lucie Award, Los Angeles
  • 2014 : Lifetime Achievement in Photography Award de la George Eastman House ainsi que le Outstanding Contribution Photography Award de la World Photography Organisation.

 Parmi ses autres récompenses figurent le prix Cornell Capa du Centre international de la photographie, la bourse John Simon Guggenheim, le prix Matrix pour une femme exceptionnelle dans le domaine du cinéma/de la photographie. 

Mary Ellen Mark, ses publications

–        Passport, Lustrum Press, 1974,

–        Ward 81, Simon & Schuster, 1979

–        Falkland Road, Knopf, 1981

–        Mother Teresa’s Mission of Charity in Calcutta, Friends of Photography, 1985

–        The Photo Essay : Photographers at work, A Smithsonian series, Streetwise, seconde impression, Aperture, 1992,

–        Mary Ellen Mark: 25 Years, Bulfinch, 1991,

–        Indian Circus, Chronicle, 1993 et ​Takarajimasha Inc., 1993

–        Portraits, Motta Fotografica , 1995 et Smithsonian, 1997

–        a Cry for Help, Simon & Schuster, 1996,

–         American Odyssey, Aperture, 1999

–        Mary Ellen Mark 55, Phaidon, 2001,

–        Photo Poche : Mary Ellen Mark, Nathan , 2002

–        Twins, Aperture, 2003

–        Exposure, Phaidon, 2005

–        Extraordinary Child, The National Museum of Iceland, 2007

–        Seen Behind the Scene, Phaidon, 2009

–        Prom, Getty, 2012

–        Man and Beast, University of Texas Press, 2014

–         Tiny: Streetwise revisited, Aperture, 2015

–        Mary Ellen Mark on the Portrait and the Moment, Aperture, 2015.

 

Mary Ellen Mark, deux images cultes

  • La famille Damm

La famille Damm, photographiée en 1987, à Los Angeles, en Californie, est une famille pauvre, sans domicile fixe, qui vit dans sa voiture la plupart du temps.

Mary Ellen Mark l’a photographiée dans le cadre d’une commande du Life magazine.

Malgré l’empathie que cette photographie a suscitée auprès de la population américaine, l’ensemble des dons récoltés  n’a pas suffi à sortir la famille de la pauvreté. Toutefois, grâce à ce cliché, la famille Damm a obtenu une certaine reconnaissance.

Mary Ellen Mark 2 1

L’image ici, prise au format carré, enferme les sujets dans la scène, une voiture qui prend les 4/5e de l’image. On lit sur les visages à la fois du désespoir, de la résignation mais aussi de l’inquiétude notamment chez les enfants.

  •  les petites filles, la cigarette et la piscine 

Cette photographie de Amanda 9 ans (à droite- cigarette à la main) et Amy sa cousine de 8 ans,  a été faite en 1990.

La scène se déroule à Valdese en Caroline du Nord, dans une résidence d’un quartier appelé « Sin City », où vivaient beaucoup de toxicomanes.

L’image ; nouveau portrait noir et blanc en format grand angle ; réalisé dans le cadre du projet « les enfants fugueurs de Seattle », commandé par le magazine Life, est l’un des clichés les plus connus de la photographe.

Mary Ellen Mark 1

Dans cette photographie, même si la scène est fixée sur le duo de ces deux petites filles, c’est l’attitude fière de la petite Amanda qui surprend.

Amanda Marie Ellison, qui approche aujourd’hui les 40 ans se souvient  “Quand elle est arrivée et qu’elle a pris ses photos, je me suis dit : ‘Hey, les gens vont me voir, je vais attirer l’attention, ça va peut-être changer des choses pour moi […]. Je pensais que ça pouvait être un moyen de m’en sortir, mais ça n’a pas été le cas.”

En effet, Amanda fût placée en famille d’accueil dès l’âge de 11 ans, devint dépendante aux drogues à l’âge de 16 ans, fit de la prison. Elle n’a jamais réussi à revoir la photographe.

                        Eric CANTO Photographe : Photos de concerts, portraits, pochettes d’albums.

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BONUS : interview de Martin Bell  pour ICP, 02/11/2015, par Marina Chao

Le cinéaste parle à ICP de l’expérience de la réalisation de Streetwise (1984), de l’évolution de ses collaborations avec Mary Ellen Mark et de leur relation durable avec Erin « Tiny » Blackwell. 

La photographe Mary Ellen Mark (1940-2015) et le cinéaste Martin Bell, partenaires dans la vie et le travail depuis 35 ans, ont rencontré Erin Blackwell pour la première fois alors qu’elle était une prostituée de treize ans connue sous le nom de « Tiny » vivant dans les rues de Seattle, Washington .  

Tiny est devenue la figure centrale du documentaire acclamé de Bell en 1984 Streetwise et du livre du même nom de Mark en 1988 sur les enfants sans-abri survivant dans les rues de la ville. 

L’amitié durable de Mark et Bell et leur collaboration créative avec Blackwell ont duré trois décennies et plusieurs projets. Maintenant dans la quarantaine, Blackwell est le sujet du dernier livre photo de Mark et d’un prochain film de Bell.  

Le livre de Mark Tiny: Streetwise Revisited (2015), le dernier de la photographe avant son décès en mai, a été récemment publié par Aperture, et le prochain film de Bell Tiny: The Life of Erin Blackwell sortira en 2016. 

Marina Chao : Pouvons-nous commencer par quelques informations sur le projet Streetwise ? Votre film de 1984 est issu d’un article du magazine Life de 1983 sur les enfants vivant dans les rues de Seattle que Mary Ellen a photographié.

Qu’en est-il de cette histoire qui vous a poussé à retourner vers les enfants et à faire un film sur eux ? J’ai lu que Mary Ellen revenait de cette mission et était convaincue qu’un film devait être fait. Avez-vous été convaincu dès le départ ?

Comment tout cela s’est-il réuni ? 

Mary Ellen Mark : Mary Ellen et moi étions à la recherche d’un projet sur lequel travailler ensemble.

Le magazine Life a chargé Mary Ellen de photographier des enfants vivant dans les rues de Seattle. Seattle a été choisie parce qu’elle était alors considérée comme la ville la plus agréable à vivre d’Amérique. 

Lors de sa première nuit à Seattle, Mary Ellen a appelé pour dire qu’elle avait rencontré une jeune fille de 13 ans nommée Tiny sur le parking de la discothèque du monastère – elle était belle et travaillait comme prostituée – puis a ajouté : « Cela pourrait être notre projet de film.

Le destin avait réuni Mary Ellen et Tiny. Cette rencontre fortuite a changé toutes nos vies.

Après que Mary Ellen et Cheryl McCall (la journaliste) aient terminé l’histoire « Streets of the Lost » pour Life, nous avons commencé à planifier comment faire le film. 

Cheryl avait récemment terminé une mission pour le magazine Life sur Willie et Connie Nelson. Cheryl a parlé de Tiny à Connie et lui a demandé s’ils seraient intéressés à aider à financer un projet de film sur elle et les autres enfants de la rue à Seattle.

Ils ont généreusement donné assez d’argent pour commencer à faire le film.

Que comptiez-vous faire avec Streetwise ?

Mary Ellen Mark : Il semble qu’avec ce type de projet documentaire, la valeur intrinsèque de la narration puisse aller de pair avec une sorte de message d’appel aux armes, sans que cela soit nécessairement l’intention des cinéastes.

Pensiez-vous ou espériez-vous que ce que vous faisiez aiderait à changer la situation de ces enfants ? 

Mary Ellen Mark : Bien que le film montre certains des enfants avec leurs travailleurs sociaux, le succès du film s’est-il traduit, à votre connaissance, par un plaidoyer accru en faveur des fugueurs ou des enfants négligés ?

Ou aider à réparer les relations entre les enfants chez leurs parents ? Vous et Mary Ellen avez-vous été tentés d’aider directement les enfants ? 

Mary Ellen Mark : L’idée du film était de donner une voix à ces adolescents privés de leurs droits pour permettre au public d’entrer dans le monde de ces enfants et leur donner une idée de ce qu’il faut pour survivre dans la rue. 

La relation que Mary Ellen et Cheryl avaient forgée quelques mois plus tôt était immédiatement claire.

Du premier jour de tournage, le 5 septembre 1983, au dernier, le 31 octobre (Halloween), nous avons été témoins de la vie des personnages principaux du film. C’était un aspect de la vie que je n’avais jamais connu auparavant.

C’était brut et souvent d’une brutalité inimaginable. J’espérais qu’en responsabilisant ces enfants et si nous faisions le bon film, cela pourrait motiver d’autres personnes qui ont le pouvoir de provoquer des changements politiques et sociaux.

En partageant leurs expériences dans le film, cela a permis à de nombreuses personnes à travers le monde de voir à quoi ressemblait une perte tragique de ces jeunes vies.

Nous avons entendu des fans du film dire que cela les avait inspirés à faire du bénévolat dans un refuge, à poursuivre une carrière dans le travail social ou simplement à leur faire savoir qu’ils n’étaient pas seuls s’ils avaient des problèmes à la maison.

Mary Ellen Mark  et moi avons offert à Tiny la chance de venir vivre avec nous à New York. (Elle a rejeté notre seule condition qu’elle aille à l’école et a décidé de rester à Seattle.)

Je suppose qu’il y a toujours cette ligne mince entre raconter honnêtement une histoire difficile et s’impliquer émotionnellement. Comment abordez-vous ce défi ?

Dans quelle mesure est-ce important pour vous de garder une distance professionnelle ? Quelle est son importance pour le film ? 

Pour moi, faire un film est un processus à la fois émotionnel et technique, c’est ce qui fait que le film fonctionne. C’est un équilibre entre les idées sous-jacentes de l’histoire et les sentiments que j’ai envers ce que je vois et la meilleure façon de capturer cela. 

Lors de la réalisation de Streetwise, nous avons vu de jeunes adolescents monter dans des voitures avec des clients; la police aussi. Nous avons tous les deux observé cette action quotidienne, sachant que c’était mal, mais incapables de changer, de manière significative, la réalité de cette vie autodestructrice. 

Le commerce du sexe est ce que ces enfants ont fait chaque jour pour survivre dans la rue. J’ai filmé les transactions avec les clients, capturé les plaques d’immatriculation des voitures mais je n’ai jamais intervenu.

J’étais là pour faire un film, pour rendre compte de ce qui se passait. La justice et les travailleurs sociaux étaient là pour faire face aux complexités de cette rupture extrême de la vie familiale. Quand on sait que le jeune ado monte dans la voiture pour gagner de l’argent pour une pipe c’est difficile à concilier.

Et si c’était mon enfant ? C’est l’un des défis de l’enregistrement d’événements réels. Personne n’a l’air d’avoir été témoin ou d’avoir participé à ce comportement en beauté – c’est un échec complet de tout ce qui est juste et juste.

MC : Comment les enfants de Streetwise ont-ils réagi face à vous ? Qu’ont-ils ressenti au début d’être filmés et de parler ouvertement devant la caméra de leur vie ? Et comment ont-ils réagi en voyant le film terminé ? 

Le premier soir, nous avons tourné au Dismas Center, New Horizons Ministries sur la 2e avenue, un centre d’aide aux enfants. J’avais braqué ma caméra sur une jeune femme qui, plus tard dans la soirée, s’est opposée à ce qu’on la filme.

Avant qu’elle n’ait fini de me dire « non », j’avais ouvert le magazine de la caméra et donné le rouleau de film exposé à cette jeune femme.

Tout le monde dans la salle a vu ce que j’ai fait. J’ai continué à filmer d’autres enfants. Personne d’autre ne s’y est opposé après avoir été témoin de cet échange. Nous avons enregistré des heures d’interviews audio avec les enfants. Ces enregistrements sont devenus le dialogue en voix off du film.

L’honnêteté des entretiens est une indication du type de relation que nous avons construit. Une fois le film Streetwise terminé, nous sommes retournés à Seattle pour la première projection publique du film avec les enfants de Pike Street.

Nous avons installé un projecteur 16mm et un écran au centre de Dismas.

Les enfants se sont assis par terre – la pièce est devenue sombre – le film a commencé à jouer. Après que Rat ait sauté du pont à l’ouverture du film, les enfants se sont déchaînés en riant et en parlant entre eux lorsque chacun des personnages de la rue est présenté, mais au fur et à mesure que l’histoire du film se déroulait, la pièce est devenue très calme. 

Dans le salon funéraire, à la fin du film, on voit Dewayne dans son cercueil. A côté de lui son père menotté à un gardien de prison, parle à son fils mort. Dans la salle, le silence régnait. Personne de Pike Street n’était à ses funérailles. Le film se termine avec Tom Waits chantant « Prenez soin de tous mes enfants ».

Les enfants étaient assis en silence pendant que leurs noms couraient sur le générique de fin. Le film s’est terminé et les enfants sont sortis du centre de Dismas dans la nuit. Un enfant est venu vers moi dans la rue après et m’a dit : « Je veux frapper quelqu’un mais je ne sais pas qui frapper.

Après toutes ces années, je ressens la même chose.

C’est déchirant, les choses que ces jeunes ont dû traverser, puis ils racontent des expériences très difficiles avec tant de naturel, avec tant de sang-froid.

Qu’avez-vous pensé de leur capacité à parler si honnêtement de la drogue, de la prostitution, des abus et de l’itinérance ? Était-ce de la bravoure, de la bravade ou de la maturité (si c’est vraiment possible à 13 ou 14 ans, même avec une abondance d’indépendance) ? 

Je crois que les personnages principaux parlent ouvertement de leur expérience de la rue parce que nous nous sommes intéressés à eux et à ce qu’ils avaient à dire. Ils ont parlé librement de ce qui les avait poussés à quitter leur domicile et du peu qu’ils avaient à montrer après avoir passé des années dans les rues à répondre aux désirs de leurs clients du centre-ville.

Quitter la maison était un acte courageux – ils sont entrés dans l’inconnu – combien d’entre nous ont le courage de le faire ? Personne n’a offert un coup de main ou une alternative à une vie qui, à quelques exceptions près, allait sûrement mal se terminer.

La décision prise par Erin, une fougueuse jeune fille de treize ans, de quitter une vie familiale dysfonctionnelle pour une vie dans la rue, était audacieuse. Elle a dit: «C’était amusant et c’était gratuit. Je peux faire ce que je veux – gagner beaucoup d’argent – ​​je dois le dépenser pour ce que je veux.

Elle a estimé que cela conduirait à l’indépendance – avoir un certain contrôle sur sa vie. Son départ de la maison était un laissez-passer Je vous salue Marie pour prendre le contrôle de sa vie.

Il faudrait être à sa place pour porter un jugement sur cette décision. 

Pourquoi était-il important pour vous et Mary Ellen de faire Tiny : Streetwise Revisited et Tiny : The Life of Erin Blackwell ? Que vouliez-vous que les gens sachent sur l’adulte Erin, maintenant mère de dix enfants ? Que voulait-elle que nous sachions sur la façon dont l’enfant de la rue Tiny a grandi ? 

Mary Ellen et moi avons commencé à faire le film Tiny: The Life of Erin Blackwell en janvier 2014. L’idée était d’incorporer toutes nos 32 années de travail dans un seul film et de le faire coïncider avec la publication du livre de Mary Ellen Tiny: Streetwise Revisited (aussi une prochaine exposition itinérante). 

Cela fait 32 ans que Mary Ellen et moi sommes entrés dans la vie de Tiny. Chaque fois que nous retournons à Seattle pour travailler avec elle, nous reprenons simplement là où nous nous sommes arrêtés comme si le temps ne s’était pas écoulé. Nous sommes acceptés – caméras et tout.

La relation entre Mary Ellen et Tiny, comme vous le verrez dans le nouveau film, est une relation d’honnêteté à toute épreuve. La franchise est aussi désarmante aujourd’hui qu’elle l’a toujours été. Mary Ellen et moi croyons aux histoires qui sont faites en un seul endroit et s’étendent sur suffisamment de temps pour voir les changements se produire.

Il apporte perspective et profondeur. Je crois que l’histoire qui se déroule de la vie de Tiny est importante en raison de la façon dont elle voit et raconte l’histoire de sa vie et comment cela se rapporte à nos propres vies.

L’avenir de ses dix enfants est tout aussi important. 

Et les autres enfants survivants de Streetwise : ont-ils été difficiles à rattraper ? Étaient-ils enthousiasmés par le nouveau film? Y avait-il des appréhensions à l’idée de revisiter leur enfance difficile ? 

Mary Ellen et moi avons retrouvé cinq des enfants de la rue du film Streetwise et les avons interviewés. Leurs histoires seront éventuellement incluses sur www.tinythefilm.com. Ce site comprendra également les dates de projection du film. 

Vous et Mary Ellen étiez partenaires dans la vie et au travail. Tu étais avec elle sur tous ses tournages et vice-versa, c’est ça ? Et Streetwise et Tiny: The Life of Erin Blackwell [ainsi que les courts métrages Twins (2004) et Prom (2010)] sont des collaborations de films et de livres photo.

Pourquoi était-il important pour vous deux de faire les deux projets – film et livre photo – ensemble ? Comment pensez-vous que l’un raconte une histoire différemment de l’autre ; comment les deux perspectives se complètent-elles et s’enrichissent-elles ? 

Mary Ellen et moi avons travaillé ensemble dès le début de notre relation en 1980. C’était merveilleux pour moi de pouvoir partager des idées avec quelqu’un d’aussi brillant.

Elle avait une formidable capacité de travail et un instinct intuitif pour une histoire. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un d’autre qui pouvait communiquer avec les gens mieux que Mary Ellen, peu importe qui ils étaient ou d’où ils venaient.

Prendre des photos et faire des films est un processus agressif, mais Mary Ellen en a fait une façon naturelle d’être, sans effort. Elle était totalement honnête et n’accepterait les conneries de personne. Sa connexion avec de parfaits inconnus provenait d’un véritable intérêt pour eux.

Elle a écouté attentivement et s’est souvenue de tout : les noms de leurs enfants, quand et où ils sont nés, même les noms de leurs animaux de compagnie, des choses qu’elle apporterait facilement dans une conversation de nombreuses années plus tard. 

Faire ensemble des photographies et des films était avant tout un excellent moyen de mettre en commun des idées différentes et parfois contradictoires.

Faire des photographies et des films sont deux façons de penser totalement différentes, mais grâce à notre collaboration, quelque chose de plus a été ajouté au travail de chacun. Pour moi, vivre et travailler avec Mary Ellen a été un beau cadeau dans ma vie.

Et après? Pouvez-vous partager ce sur quoi vous travaillez actuellement ? Y a-t-il un projet de rêve ou de passion qui attend d’être abordé? 

Mary Ellen et moi travaillons avec le romancier John Irving sur un projet de film de fiction depuis 1989. Cela a commencé en Inde à partir du travail de Mary Ellen pour son livre Indian Circus (1993) et d’un film que nous avons réalisé pour National Geographic, Circus of Dreams. 

John a ensuite écrit son roman A Son of the Circus (1994) ainsi qu’un scénario du même nom. Le roman a été un succès, mais le film de fiction n’est jamais entré en production.  Au fil des années, l’histoire a migré de l’Inde vers le Mexique et maintenant au-delà du Mexique. Le nouveau roman de John, Avenue of Mysteries, sera publié en novembre 2015. 

Cette collaboration avec Irving sera le prochain projet passionnant à aborder après la sortie de Tiny : The Life of Erin Blackwell. 

Et, enfin, pour ceux d’entre nous qui n’ont pas eu la chance de connaître Mary Ellen, y a-t-il une histoire que vous pouvez partager qui nous aiderait à comprendre qui elle était ? Un moment dont vous vous souviendrez et qui vous fait penser, c’était Mary Ellen. 

Au cours des 35 années où nous étions ensemble, je demandais à Mary Ellen, pendant qu’elle travaillait, si elle venait de capturer un bon cadre.

Elle a toujours répondu qu’elle ne savait pas. Même lorsqu’elle éditait ses feuilles de contact, je lui demandais : « Avez-vous quelque chose ? » Elle a toujours répondu qu’elle n’était pas sûre. 

Une fois que Mary Ellen avait terminé le montage, je regardais les feuilles marquées et voyais souvent, à côté d’un point rouge qu’elle avait utilisé pour marquer une sélection, un cadre Mary Ellen très distinctif et je me demandais pourquoi elle ne pouvait pas voir à quel point elle était vraiment exceptionnelle. était et dire: « Eh bien, peut-être qu’un seul. »

Pour elle, il n’y avait que la prochaine histoire et une autre chance de trouver le cadre emblématique insaisissable. C’était Mary Ellen. J’aimerais avoir le don de Mary Ellen pour voir le moment et en faire un seul cadre magnifique qui restera vrai pour le reste des temps.

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